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Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Gu Si Fang (IP Loggée)
Date: 14 août 2012 à 11h11

Paul Krugman, End this depression now !
[www.amazon.fr]



Les lecteurs qui connaissent Krugman retrouveront ici son image favorite : la crèche parentale des Sweeney’s.



Ici, les parents peuvent échanger une heure de garde d’enfant aujourd’hui contre une heure de garde d’enfant plus tard. C’est tout ; et c’est déjà quelque chose. Lorsque les parents (« pour des raisons dans lequelles il n’est pas nécessaire d’entrer ici ») décident de thésauriser des tickets, l’économie de la crèche part en vrille. Ils offrent plus de gardes aujourd’hui pour pouvoir confier leurs enfants à la crèche plus tard, malheureusement il n’y a pas assez de demande. Dans le cas de la crèche, les gérants décident d’imprimer plus de tickets ce qui permet aux parents de les thésauriser jusqu’au point où ils offrent autant de services de garde qu’ils en demandent. On est sortis de la spirale déflationniste.



Mais dans la crise actuelle, un autre paramètre doit être pris en compte. Les taux sont à zéro et imprimer de la monnaie n’a plus d’effet sur la demande. Les parents veulent garder des enfants aujourd’hui et personne (eux-mêmes) n’a besoin de leurs services. Les tickets sont thésaurisés à l’infini sans pour autant rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande.



Comme tout modèle, celui-ci simplifie la réalité en faisant abstraction de certains paramètres. Il en retient un : la demande de tickets, c’est-à-dire la demande de monnaie, ou encore la « préférence pour liquidité ». Puis Krugman croit utile d’ajouter un deuxième paramètre qui ne figure pas dans l’exemple de la crèche : la préférence pour des services de garde d’enfant demain relativement à un service de garde aujourd’hui, c’est-à-dire la préférence temporelle ou taux d’intérêt.



Conclusion (provisoire) : en temps normal, la planche à billets suffit ; en temps de crise, le déficit public s’impose. Sinon, les taux resteront à zéro et l’investissement ne repartira pas, et la demande avec lui. C’est la conclusion keynésienne.



Oui, mais…



Ce que Krugman ne dit PAS, ce sont les hypothèses implicites (mais cruciales) de son modèle, et les paramètres qu’il a omis. Il fait des hypothèses et des simplifications, soit !, mais encore faudrait-il en avertir le lecteur.



1) Pas de prix relatifs : la crèche produit un seul service, qui se décline en garde d’enfants aujourd’hui et garde d’enfants plus tard. Mais le prix, c’est-à-dire le ratio auquel on peut échanger un garde aujourd’hui contre une garde plus tard, ce prix est figé. 1 heure = 1 heure. Certains parents seraient prêts à garder deux heures aujourd’hui pour bénéficier d’une heure en retour. Cela permettrait de résoudre le problème, mais le système ne le permet pas. Dans l’économie keynésienne cela se traduit par : « les prix sont rigides à la baisse » et il y a surproduction générale par opposition à excès dans certains secteurs et pénurie dans d’autres. Krugman n’en dit pas un mot. Pourtant, si les travailleurs au chômage doivent retrouver du travail dans un autre secteur, ce n’est pas du tout la même chose que de revenir dans leur dernier emploi.



2) Pas de capital : le service de la crèche ne peut pas être stocké, congelé, mémorisé. La seule manière d’avoir une garde d’enfants demain est que quelqu’un garde vos enfants (on n’a pas encore de robots gardes d’enfants). Par conséquent, si toute la crèche désire épargner, ce n’est pas prévu, pas possible. Mais dans l’économie réelle, l’épargne est vitale, et la fabrication de biens durables, d’usines, etc. est créatrice d’emplois tout autant que la fabrication des biens de consommation (pensez : esquimo ou marshmallow). Dans la crèche, si les gens veulent épargner, ils se retrouvent au chômag ; dans l’économie, non.



3) Pas de taux d’intérêt : dans la crèche, il est quand même possible pour un individu d’épargner, même si la crèche ne peut pas accumuler de capital dans son ensemble. Un parent peut échanger une heure de garde aujourd’hui contre une heure plus tard en thésaurisant un ticket. Sa créance sur la communauté des parents devient son capital. La dette de l’un est le capital de l’autre. Mais dans le modèle de Krugman, même ce mécanisme fonctionne mal puisque, comme on l’a vu, le prix est figé. Si un parent décide d’épargner plus, il faut que les autres parents aient simultanément – par hasard – le désir opposé. Sinon son projet échoue.



Quelle conclusion un lecteur averti peut-il tirer de ce modèle de la crèche parentale ? Que SI les hypothèses sont satisfaites, ALORS des conséquences en résultent. Plus exactement : SI il n’y a aucun prix relatifs permettant de réallouer les ressources en excès vers les secteurs en pénurie, ALORS des ressources resteront inutilisées (chômage). SI il n’y a pas de capital et que la société décide d’épargner, ALORS les gens se retrouveront au chômage. SI il n’y a pas de marchés financiers permettant d’acheter une créance sur d’autres agents, et qu’un seul individu décide d’épargner, ALORS il en résultera du chômage.



Mais dans l’économie il y a des prix relatifs. Il y a eu trop d’investissements dans certains secteurs et de consommation de certains produits. Le problème n’est pas nécessairement une surproduction générale, mais plutôt une surproduction à certains endroits (immobilier, automobile, finance) et une pénurie ailleurs. Dès lors, la phrase d’Andrew Mellon prend tout son sens : « Liquidez les actifs ! Liquidez le travail ! Liquidez les stocks ! » signifie que des ressources doivent être libérées dans les branches où elles sont en excès, afin de pouvoir être utilisées là où elles seraient plus utiles.



Dans l’économie réelle, il y a aussi du capital et des produits financiers. Un individu ou une société qui décident d’épargner, cela ne mène l’économie dans le gouffre que dans le modèle simplifié à l’absurde de Krugman.



Pour toutes ces raison, le livre de Krugman est anti-pédagogique. Il prétend enseigner à son lecteur non-initié un raisonnement économique de base, ce qui serait une bonne chose. Mais en réalité il le trompe avec un sophisme, en occultant les prémisses et en attirant l’attention uniquement sur la conclusion.



Krugman a écrit de bonnes choses, notamment La mondialisation n’est pas coupable. Ici, il nous livre un remake de Pourquoi les dépressions reviennent toujours, à la limite de la malhonnêteté intellectuelle. Comme il le dit lui-même candidement "my aim here is to bring pressure, by means of an informed public, to get to change course, and bring an end to this depression." Drôle de conception de "informed"...



Modifié 3 fois. Dernière modification 22/08/2012 à 01h01 par Gu Si Fang.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Xavier (IP Loggée)
Date: 14 août 2012 à 16h04

La crèche reste une expérience de pensée interessante. Il ne faut bien sur pas en tirer des conclusions hatives mais cela peut donner à réfléchir.
Je ne sais pas quel traitement Krugman en fait sur son livre. J'imaginais qu'il allait surtout insister sur la 0 lower bound qui est une problématique autre.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Pierre (IP Loggée)
Date: 21 août 2012 à 10h10

Je crois que votre point 1 est correct. Oui, une relance Keynésienne fait le sacrifice des gains de productivités liés aux prix relatifs si l'état est moins capable que le marché d'allouer les biens et services. Pareil pour le point 3. Même si comme vous le mentionnez, les taux d'intérêts ne peuvent vraiment devenir négatifs (en ce moment, on n'en est pas loin pour certaines dettes publiques...)



Cependant, le point 2 néglige quelque chose. Tous les acteurs de l'économie durant une crise comme la notre cherchent à épargner dans des actifs liquides et non risqués: les particuliers placent leur argent en banque s'ils n'ont pas peur qu'elles fassent défaut, les entreprises se désendettent et rognent sur leurs investissements, les banques ne veulent surtout pas prendre le moindre risque en prêtant et se ruent sur les dettes publiques les plus fiables. Pour reprendre vos exemples, (presque) personne ne produit d'usines ou n'achète de biens durables en ce moment. Or il faut bien occuper notre main d'oeuvre à produire des choses matérielles: sinon il y a inefficacité économique, et par ailleurs même les actifs liquides et non risqués reposent sur des actifs matériels si on veut qu'ils rapportent quelque chose un jour. La somme des investissements en actifs réels (par opposition à financiers purs) et de la consommation doit être égale à la production réelle à chaque date (ou presque). Je pense que c'est le point fondamental qui plaide pour les politiques de relance en période de crise.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Gu Si Fang (IP Loggée)
Date: 21 août 2012 à 19h07

Bonjour Pierre,



Personne ne conteste que, sans mécanismes de marché (prix, taux, capital) il y aurait de nombreux déséquilibres dans l'économie qui ne se corrigeraient pas. On produirait des choses qui resteraient dans les magasins, on investirait pour construire des châteaux en Espagne, et on licencierait des salariés productifs. Sans ces trois mécanismes, l'économie fait biiiiiiiiiiiip... Le débat n'est pas là. Pourtant, c'est essentiellement ce que le modèle de Krugman démontre. Conclusion : il faut que l'Etat sauve l'économie.



Vous voyez le problème ?



La conclusion découle bien des prémisses, mais les prémisses sont tellement fausses qu'il faudrait au minimum essayer de les justifier. Par exemple : "Bien sûr, en réalité il y des prix, mais ils sont rigides. Bien sûr, il y a des taux mais il y a des bulles. Les asymétries d'information, les imperfections, etc. : les mécanismes existent, mais ils ne sont juste pas parfaits. Conclusion : il faut que l'Etat sauve l'économie."



Et enfin là, il y aurait un troisième niveau de discussion : l'Etat est-il parfait, lui ? Et ferait-il mieux que les acteurs économiques ?



Krugman connaît tout ça par cœur, évidemment. Mais croyez-vous qu'il en parle dans son livre ? Il n'y a rien à discuter ni débattre dans sa conclusion : elle est juste, si l'on accepte ses hypothèses ; or, il ne discute pas ses hypothèses.



Du coup, si vous avez besoin d'être convaincu qu'une économie ne peut pas marcher sans prix ni taux ni capital, ce livre est fait pour vous. Mais si vous vous demandez : mais au fait, on A tout ça, non ? Alors pourquoi ça ne marche pas ? Pourquoi ? Ça serait sûrement un bon sujet pour un livre sur la crise, ça, tiens ! ...



P.S. En fait j'exagère, comme toujours : il parle bien de la rigidités des salaires et de l'abomination de la désolation de la déflation du crédit, dans le chapitre Eurodämmerung (signe de croix, gousse d'ail etc.). Quant à son modèle, "il attaque l'ennemi là où il n'est pas" (Sun Tzu, L'art de la guerre)



Modifié 3 fois. Dernière modification 22/08/2012 à 01h01 par Gu Si Fang.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Pierre (IP Loggée)
Date: 23 août 2012 à 10h10

Bonjour,



Pour moi, l'idée Keynésienne de Krugman est qu'en période de crise, les acteurs économiques veulent moins consommer ou investir en biens matériels qu'ils ne veulent produire, et que cela pose problème. C'est le point fondamental du "modèle de la crèche". Intuitivement, je le rejoins sur ce constat pour décrire les économies européennes en août 2012.



La question de savoir pourquoi une baisse des taux d'intérêts ne peut pas encourager suffisamment la consommation et l'investissement pour rétablir l'égalité comptable en économie fermée conso(t)+investissement(t)=production(t) n'est effectivement pas dans le modèle. Dans le cadre d'une crise, elle a certainement généré des débats enflammés dans littérature macroéconomique dont j'ignore tout. Krugman n'a pas souhaité aborder ce point dans son bouquin de vulgarisation. C'est ce que vous auriez aimé trouver, je ne sais s'il a eu raison de sauter un point technique pour aller vite dans un bouquin grand public, ou si il a cherché à cacher la poussière sous le tapis.



Modifié 1 fois. Dernière modification 23/08/2012 à 10h10 par Pierre.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Gu Si Fang (IP Loggée)
Date: 23 août 2012 à 22h10

@ Pierre



Ma critique ne porte pas sur le traitement en économie fermé, auquel je n'avais même pas pensé. Ca serait un autre point. Mais sinon, oui, la cause de la dépression dans le modèle keynésien est même que les gens veulent à la fois moins consommer ET moins investir.



En temps normal, si un entrepreneur décide de ne pas investir, parce qu’il juge un projet non rentable, il se peut qu’un autre entrepreneur utilise ces mêmes ressources pour un autre investissement. Ce processus alloue l’épargne vers les projets les plus utiles en fonction du jugement des entrepreneurs.



Et si tous les entrepreneurs décident d’investir moins, que se passe-t-il ?



Je suis tenté de répondre que cette situation correspond à augmentation de la préférence pour le présent ; à une fluctuation à la hausse des taux d’intérêt. Cela déclenche une réallocation de la production de l’épargne vers plus de consommation.



En effet, si tous les entrepreneurs pensent que leurs produits demain auront moins de valeur que les ressources qui seraient nécessaires à leur production aujourd’hui, ils investissement moins. Sans ce mécanisme il n’y aurait pas moyen de satisfaire les préférences des consommateurs entre l’épargne et la consommation.



Si vous avez un marché des capitaux, des prix relatifs, des marchés financiers, il n'y a pas de raison a priori d'avoir un déséquilibre systématique. Sans eux, c'est la cata.



Mais il reste le troisième cas : si tout le monde investit moins ET consomme moins, donc thésaurise sa monnaie. C’est la trappe à liquidités : l’abomination de la désolation déjà citée... Ce cas correspond à une fluctuation à la hausse de la demande de monnaie, qui déclenche normalement une baisse des prix, et qui déclencherait aussi une augmentation de la production de monnaie si la monnaie était produite…



Le modèle de Krugman nous aide-t-il à comprendre cette situation ? Il ne connaît pas les préférences individuelles, que ce soit les prix relatifs des biens de consommation ou d'investissement. Il ne connaît que la préférence pour le présent : les parents peuvent avoir envie de garder maintenant et de sortir plus tard, ou l'inverse. Et comme il ne contient aucun processus qui permettrait d'ajuster les échanges intertemporels entre les parents, le système se bloque automatiquement. Ca ne nous renseigne pas sur ce qui pourrait causer une hausse de la demande de monnaie, ni sur les moyens d'y répondre si jamais elle se produit.



P.S. "L'égalité" comptable est une identité, et les deux termes d'une identité sont toujours... identiques ! A fortiori, toutes les mesures que l'on pourrait effectuer dessus seraient toujours égales : puisque Pierre est Pierre, la taille de Pierre est égale à la taille de Pierre, le poids de Pierre égal au poids de Pierre, etc. Désolé pour ces évidences et pour la macro winking smiley Mais de toutes façons il n'y a rien à mesurer, ergo il n'y a pas besoin de l'égalité pour tenir un raisonnement économique.



Re: Commentaire critique de Krugman, "End this depression now"
Publié par: Hypothèse (IP Loggée)
Date: 31 août 2012 à 22h10

Rendons ce monde libre et gratuit.
C'est stupide de vouloir tout contrôler, dominer, ou corrompre uniquement pour et par du fric.
Les êtres humains ont besoin d'autres choses : d'un vrai partage des ressources et richesses tant matérielles que spirituelles.
N'avez vous pas conscience que le monde s'effondre parce qu'il y a trop d'argent d'un côté, et parce qu'il épuise l'énergie des vivants par la peur du lendemain (de l'autre côté) ?
On racontait que l'être humain est intelligent, j'espère que cette expérience du capitalisme sera bénéfique à tous. Car le capitalisme vit de crises. Et quel avantage y trouvons-nous ?
Mettons notre honneur à faire en sorte que les humains n'aient plus à se soumettre à des "outils", car nos institutions, l'argent, les lois, etc. sont des outils inventés au cours des siècles pour aider les humains à mieux vivre. Ce ne sont que des "outils", des constructions intellectuelles, ou technologiques, ou techniques, ou légales, mais rien de vivant et plus du tout fécond puisque ces outils détruisent même leur environnement !
Un peu de courage s'il vous plaît





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